L’hiver vient…?

Rarement se sont à ce point mêlées en moi la colère et l’inquiétude.

Avec le temps on s’habitue, on se vaccine contre les effets de manche et les petites manipulations politiciennes.
Mais, là, tout de même…

Alors que la guerre fait rage à l’Est de l’Europe, prendre le risque d’amener au pouvoir les amis de Poutine est irresponsable.

Alors que les idées de repli sur soi nationaliste et d’exclusion progressent en Europe, qu’à l’intérieur même de notre pays la panne de l’ascenseur social, la défiance et le déclassement ressenti ou vécu poussent certains de nos concitoyens à vouloir, inlassablement, renverser la table, la réponse du président de la République est de prendre le risque de porter l’extrême-droite au gouvernement, de lui donner les clés de la fabrique de la loi et de la laisser administrer le pays, dans le cadre constitutionnel d’une Vème République propice à une excessive verticalité de l’exercice du pouvoir.

Jouer avec nos vies pour sauver les bribes d’un pouvoir usé et rejeté en espérant transformer la cuisante défaite des Européennes en victoire – ou chaos dont on espère tirer profit – n’est pas à la hauteur de la fonction occupée par le président de la République.

Cette stratégie du « moi ou le chaos » a permis, depuis 2017, de finir d’abîmer la gauche et la droite traditionnelles – déjà largement démonétisées – sans offrir de réponse alternative satisfaisante non plus, tout en ouvrant un bel espace aux différentes formes de radicalités qui n’en demandaient pas tant.
Le paysage politique macronien idéal se résumerait donc ainsi : « fous de droite, fous de gauche et raisonnables du centre »…

De fait, l’extrême-droite a fini de se banaliser pour revêtir des habits de notabilité qui masquent volontairement un projet de société clivant, brutal, intolérant, réactionnaire et ségrégatif, vrai héritier des heures les plus sombres de notre histoire.
Au point de libérer une parole inimaginable il y a encore peu chez certains de nos compatriotes qui s’apprêtent à voter FN/RN alors qu’ils avaient jusque là toujours férocement lutté contre l’extrême-droite.

Dans le même temps, la gauche s’est trouvée dominée par le bruit et la fureur d’une radicalité outrancière, donc inefficace, jetant l’universalisme dans les poubelles de l’histoire, attaquant les uns pour plaire à d’autres… et expiatoire d’une social-démocratie prétendument mièvre et déconnectée des attentes du peuple…

Le décor était bien posé et il ne restait plus qu’à attendre un moment propice pour appuyer sur le bouton… Être le détonateur là où il eût été préférable d’être le protecteur ou l’accompagnateur raisonnable du changement…

Rarement nous avons été autant à la merci des caprices d’un si petit nombre de personnes.

Et donc, la mère de toutes les batailles est là, devant nous, les 30 juin et 07 juillet : empêcher l’accession au pouvoir de l’extrême-droite, sans barguigner, sans petits calculs médiocres, sans instrumentalisation des peurs, des douleurs et des souffrances individuelles ou collectives.

Et de digue, tout bien réfléchi, il n’y en a qu’une : l’union des gauches.
Ce nouveau Front populaire bâti dans l’urgence d’une dissolution imposée, en 4 jours et 4 nuits, seul à se hisser – malgré les différences et les divergences, parfois profondes – à la hauteur de l’histoire. Et cela au moment où le rapport de force en son sein s’inverse, se rééquilibre, dans la fidélité à ce que fut toujours la gauche : une alliance autour d’un but identique – l’avènement d’un monde juste, ouvert et source de liberté et d’émancipation – avec des moyens d’action différents – parfois divergents -, se réconciliant et acceptant le compromis dans le dépassement au profit de l’intérêt général, à certains moment clés de l’histoire.

Car, je le dis à mes ami.es pro-européens et attachés à la construction d’une société juste et apaisée, la digue ne peut être incarnée par celles et ceux qui, jour après jour depuis 7 ans, ont fait monter le niveau de l’eau. Condescendance, brutalité et indifférence aux soubresauts de la société ; mépris des Gilets jaunes, monologue narcissique et arrogant du pseudo Grand débat national, 49-3 pléthoriques, réforme des retraites inique… sont autant d’éléments alimentant le compteur des dégâts.

Choisir, en politique, c’est imaginer et se projeter dans le monde dans lequel nous aimerions vivre, puis soutenir les idées et les personnes qui s’en approchent le plus.

Pour ma part, je ne serai pas l’âne de Buridan qui meurt d’être incapable de choisir entre un seau d’eau et un seau d’avoine placés à égale distance de lui…

Je ne veux pas d’une France dirigée par de faux patriotes biberonnés aujourd’hui à Moscou comme leur ascendants le furent à Berlin dans un égal défaitisme… Je n’oublie pas Vichy, la milice, le Vel’d’hiv, la LVF, l’OAS, puis le négationnisme et aujourd’hui les tentatives de réhabilitation de Pétain… et ne suis pas dupe de la nature et de la raison des habits neufs de la haine de l’autre.

Je ne veux pas non plus de l’entre-soi condescendant du macronisme qui, à force de leçons données aux citoyen.nes et de mépris de tout autre proposition politique que la sienne, finit par provoquer un rejet parfois irrationel de toutes les politiques publiques.
Jouer avec les institutions, par la dissolution et le scrutin à deux tours ne donnera aucune nouvelle légitimité à un président que plus personne n’écoute et qui n’écoute plus personne.

Alors, l’eau ou l’avoine pour battre l’extrême-droite ?
Que ce soit le plus grand bien ou le moindre mal, tout converge vers le nouveau Front populaire.

Autant ai-je fustigé la NUPES et son cortège de soumissions et de compromissions locales et nationales, autant je n’hésite pas un instant – tant l’heure est grave – à appeler à un sursaut politique et citoyen en soutenant le seul rempart possible aujourd’hui – le nouveau Front populaire – face au danger de l’extrême-droite à Matignon et partout ailleurs (Culture, éducation, politique de la ville, politique familiale…etc.). Que chacun s’imagine ce que sera sa vie et celle des autres sous Bardella…

Enfin, qui peut raisonnablement mettre sur le même plan le nouveau Front populaire et le FN/RN ? Glucksmann, Tondelier, Faure, Roussel, Hollande, Jospin à égalité avec Le Pen, Bardella, Maréchal, Chenu… ?
Quelle folie a retourné le cerveau de celles et ceux – parfois universitaires, chefs d’entreprise, intellectuels, ingénieurs… souvent confortablement installés dans la vie et tant mieux ! – qui minimisent aujourd’hui le danger du FN/RN et de ses nervis qui s’apprêtent à être plus de 250 à l’Assemblée…
Qui peut croire qu’il n’y a pas une urgence primordiale bien supérieure aux attaques et insultes de campagne, aux incohérences maladroitement gérées sous la contrainte de la dissolution et aux adversités et dilemmes locaux ?

Pas de possibilité de sortir du dilemme sans hiérarchisation des combats.

C’est notre seul espoir pour éviter que l’hiver s’abatte sur notre histoire.

Jean-Benoît Cerino

11 réflexions sur “L’hiver vient…?

  1. Cher Jean-Benoît,

    Je lis avec intérêt et amitié ton analyse et te livre la mienne. Tout d’abord pour rappeler que chacun d’entre nous vote dans une circonscription précise. Notons au passage que Béatrice Santais appelle à voter pour Emilie Bonnivard dans sa circonscription.

    Dans la nôtre, la 4ème, nous avons à choisir entre un candidat LFI (Coulomne) et la candidate Ensemble (A. Gomero). Je limite en effet à cette alternative, tu t’en doutes un peu … Un ami commun que je questionnais sur son absence parmi les candidats Front populaire m’indique qu’entre le « tocard » et le « facho », il votera pour le « tocard ». Je respecte ce choix, je ne le suivrai pas. Car il existe une 3ème voie au 1er tour : celle des élus républicains, c’est-à-dire qui sont des élus républicains quand bien même je peux être en désaccord. Le « tocard » n’est pas un élu républicain, c’est un affidé de Mélenchon, je ne lui ferai pas l’honneur de ma voix, car oui, en démocratie chaque voix compte et donc est précieuse. Je me tourne vers cette alliance E. Philippe-Bayrou-Attal en espérant que puisse se constituer un centre droite-gauche qui a conscience des enjeux cruciaux du moment. Et au second tour, si jamais Madame Gomero n’est pas qualifiée, je voterai, pour la 1ère fois, blanc.

    Je vois beaucoup se « prendre le mur » depuis le 7 octobre et depuis le 9 juin. Qu’un Vincent Lemire que je lis et que je respecte puisse signer une tribune qui fait un distinguo entre les antisémitismes des uns et des autres m’afflige infiniment. Qu’un Raphaël Glucksmann nous invite à y croire en dépit de l’abîme que le sépare de ses alliés est désolant de naïveté et permet de mesurer le niveau de pression qu’il doit sans doute supporter. Quant aux autres ….

    Aujourd’hui je suis, comme beaucoup, blessée, profondément, dans mes aspirations de citoyenne. Mais justement il me semble que ma dignité de citoyenne me commande de donner la priorité aux élus qui respectent le pacte républicain. Et je peux te dire que si je n’avais pas eu un tocard sur le bulletin de vote, j’aurais fait un autre choix. Le Front populaire n’est qu’une alliance de circonstance, seuls comptent les hommes et les femmes auxquelles nous donnons notre voix.

    Avec toute mon amitié

    Nathalie

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    1. Chère Nathalie,

      Merci d’avoir pris le temps de lire cette réflexion et d’apporter ta contribution. Je sais ta bienveillance et ton rejet des caricatures et je partage pleinement ta blessure de citoyenne.

      Je dis depuis des années – nos amis communs peuvent aisément le confirmer – que le macronisme est une impasse politique et intellectuelle. Non seulement le président a initié la décomposition du paysage politique mais il a été incapable de proposer une alternative sérieuse, solide et humaniste, et de la construire.

      Je comprends parfaitement ton analyse de la situation locale mais là ne me semble pas être l’enjeu. Je ne me résous pas à mettre sur le même plan des dossier locaux importants et qui avancent bien et ne seront pas remis en cause par tel ou tel député… (Lyon-Turin…), les qualités/compétences des uns ou des autres que je ne connaît pas (et que je ne connaitrai pas en 15 jours de campagne !), l’estime que l’on peut avoir pour tel ou tel…, et le risque de voir au pouvoir, diriger l’administration, piloter les programmes scolaires, une famille politique héritière des pires heures de notre histoire récente, baignée dans la haine de l’autre.

      Et ce dilemme de loyauté entre le combat national et le combat local je l’ai durement vécu en juin 2017 comme patron du PS en Savoie : et ce fut également une impasse…

      Je ne pense pas non plus que 80 députés LFI soient un risque supérieur à 250 FN…

      Depuis le 09 juin, chaque jour je me demande comment je vais enseigner l’histoire sous un gouvernement FN, comment faire quand la parole de certains se libérera en classe avec l’imprimatur gouvernemental, … je ne te cache pas que dans ce contexte savoir que bidule – que je ne connais pas personnellement en plus – est pire que machin ne m’importe pas beaucoup… tout ça pour moi c’est de la popol…

      En bref, je ne veux pas d’une France gouvernée par Le Pen et je ne veux pas d’une gauche gouvernée par Mélenchon… la priorité des 30 et 07 juin est la France. La gauche ont s’en occupera ensuite…

      J’ai encore été un peu long. Je compte sur ta patience 😉
      Encore merci pour ces échanges en confiance et respect.
      A se voir bientôt.

      Très amicalement,
      JB

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  2. Je n’ai bien sûr pas l’élégance et la justesse de ton « verbe » JB, mais j’adhère totalement à ton analyse et je te renvoie à la formidable chronique de R Glucksmann, que je viens de lire dans Le Monde du 20 juin : j’aurais tant voulu que son discours et le tien soient tenus par nos dirigeants PS mais il est difficile de sortir des paroles de boutiquiers…

    Petit bémol : Il est urgent d’inverser le rapport de forces à gauche et au PS nous manquons cruellement de « vision »!

    Amitiés

    Roland

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    1. Cher Roland,
      Merci de ta contribution. Tu as raison, Il faut rééquilibrer les forces, oui ! Et refaire des partis des lieux de débats et de formations pour l’avenir plutôt que des clubs de supporteurs…
      Bien amicalement,
      JB

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  3. Bonjour Jean-Benoit,
    Merci pour ta réflexion mais je voterai exactement comme Nathalie. La Nupes 2 ne sera
    pas plus solide que la Nupes 1 et sera sans doute encore plus ephémère… Et le rapport
    de force en son sein me parait tellement déséquilibré en plus. Il n’y a qu’à voir la
    répartition des candidats dans les circonscriptions ! Et pourtant Raphaël Glucksmann n’a
    pas démérité jusqu’à son interview au journal télévisé du 10.06 à 20 h avant…..qu’une
    heure après il abdique.
    Et toujours parfaitement en phase avec Nathalie on vote aux législatives pour des
    personnes. L’étiquette n’est pas mon seul critère et de loin. La défense des valeurs
    républicaines prime tout le reste. J’ose espérer un sursaut des électeurs en ce sens…sinon
    l’avenir ne fait pas rêver.

    Avec toute mon amitié.

    Catherine

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    1. Chère Catherine,
      Le sursaut aura lieu mais le FN aura une majorité relative… portée sur un plateau par la dissolution.
      L’essentiel est d’éviter un gouvernement FN et supplétifs.
      Mon propos est là.
      Le reste nous le verrons ensuite car si le FN dirige le pays nous entrerons dans un autre monde…
      Très amicalement
      JB

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  4. Merci Jean Benoît de nous remotiver pour cette élection qui comporte deux tours (!) .

    Je sais les sujets qui peuvent nous amener à avoir des visions différentes et beaucoup d’autres qui nous rassemblent. Sur un des sujets que semble soulever Nathalie, j’ai été sensible à cette tribune:

    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/lettre-a-mes-amis-et-a-mes-compatriotes-francais-juifs-et-legitimement-inquiets-par-mahir-guven-20240616_3CVZI7GGKNASPHE4UBQOLHIB5E/

    Nos combats sont les mêmes, et je voterai Front populaire aux deux tours.

    Au plaisir de se retrouver.

    Christian

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  5. Cher JB, mon ami,

    En vieillissant, on a tendance à mettre un peu d’eau dans son vin, paraît-il… Serait-ce l’explication à mon rapprochement, depuis quelques années, d’orientations politiques moins catégoriques et plus sociales-démocrates? Pour autant, tu le sais, quelle que soit mon évolution, je suis toujours resté dans la nostalgie de cette incroyable union qui permit en 1981 de voir côte à côte des ministres compétents et efficaces issus des différentes composantes de la gauche…

    Le contexte de 2024 n’est évidemment pas le même, et gardons nous de tenter trop de rapprochements. Le fond, par contre l’est! Il est bien question de bâtir un avenir que seule une large union aujourd’hui peut garantir comme humaine, sociale et progressiste. Cela demande un effort: celui de soutenir localement un candidat que l’on n’a pas forcément facilité à accepter comme son candidat favori, parce que porteur localement de positions que l’on ne partage pas: et tout le monde verra bien à quoi je fais allusion…

    Mais en quoi une position personnelle, je le redis: sur des données locales, peut-elle être l’expression généralisée du socle des accords issus d’une large alliance? C’est faire fi de la capacité des futurs élus à mettre cette pluralité au profit d’un fonctionnement démocratique intelligent sur la base d’ orientations nationales consensuelles et au service de tous! Nous ne pouvons pas prendre le risque, pour des raisons liées à une personne qui ne serait pas notre tasse de thé, d’ouvrir la porte à l’obscurantisme et au fascisme qui gangrènent peu à peu notre pays et plus largement l’Europe. Il n’est plus l’heure des états d’âme!

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    1. Mon cher Yves,
      tout est dit dans ton mot ! Je ne peux m’empêcher de voir, là, avec un plaisir réel la plume de l’instituteur de la République dans toute sa force et sa responsabilité.
      Avec toute mon amitié.
      JB

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  6. Une fois de plus nous allons aller voter avec une pince à linge sur le nez (DSK) afin de ne pas vivre en contradiction avec les idées que l’on ne défend pas (Desproges), tout en comprenant le lent glissement du peuple de gauche vers les idées d’extrême droite (Eribon). Quelle joyeuse perspective !

    Alors oui, j’irai voter pour ce nouveau front populaire dans lequel le PS semble renaître, pour le « tocard » local donc, malgré Mélanchon qui continue de jouer l’épouvantail, contre le « facho » aux perspectives funestes, mais aussi contre Macron pour qui j’ai déjà voté, dont l’arrogance, l’irrespect et la soumission à la finance ont fini de me détourner.

    Cette fois encore, mon bulletin dans l’urne résulte plus d’un choix tactique (vote contre) que d’un choix d’idées (vote pour), mais quand même avec l’espoir que les trois ans qui nous séparent de 2027 constituent un tremplin vers ces fameux « jours heureux » (CNR).

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